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Rav Zekharia Wallerstein
Le feu rouge
כי תדר נדר לד' אלקיך
Quand tu auras fait un vœu à Hachem ton D.… (Devarim 23, 22)
Dans sa jeunesse, une de nos enseignantes, au séminaire Ohr Naava, avait étudié dans un séminaire en Israël. Un Chabbath, elle s'était fait inviter avec une amie chez une famille de Meah Ché'arim. Elles étaient arrivées chez leurs hôtes juste avant Chabbath, et elles avaient tout juste eu le temps de saluer et de souhaiter "Chabbath Chalom" au maitre de maison, un 'hassid à l'air très gentil, qui était en train de partir pour la choule. Quelques minutes plus tard, la maitresse de maison arriva pour allumer les bougies de Chabbath. Elle semblait américaine, et assez bizarrement, elle était revêtue d'une robe de mariée. Les jeunes filles ne savaient trop que penser de cette apparente excentricité, et elles allumèrent leurs propres bougies sans mot dire. Elles attendirent ensuite que leur hôtesse termine d'allumer les siennes.
Cependant, leur attente se prolongea… Il semblait que la maitresse de maison était en train de prier pour toutes ses connaissances… Untel avait besoin d'une réfouah chélémah, tel couple n'avait pas encore d'enfants, Une telle cherchait désespérément son conjoint, etc. La liste semblait interminable ! Enfin, au bout de quelques longues minutes, la maitresse de maison, radieuse, se tourna vers ses invitées et se présenta : "Chabbath Chalom ! Je m'appelle Myriam." Puis, répondant à la demande silencieuse des jeunes filles, elle proposa : "J'imagine que vous vous demandez pourquoi je porte une robe de mariée… Eh bien laissez-moi vous raconter mon histoire…"
"Je suis originaire de Chicago. Ma famille était juive, mais nous n'avions aucun lien avec la religion. A un certain stade cependant, mes parents ont tout de même considéré que ce serait bien que j'en apprenne un peu plus sur mon patrimoine juif. Lorsque j'ai eu neuf ans, ils m'ont donc inscrite au Talmud Torah, et chaque dimanche, j'assistais aux cours qui y étaient organisés. Les enseignants qui travaillaient dans ce Talmud-Torah étaient généralement pratiquants, mais ils insistaient beaucoup dans leurs cours sur l'histoire juive. Une des règles imposées à l'équipe pédagogique était que les enseignants religieux n'avaient pas le droit d'inviter leurs élèves chez eux pour Chabbath.
Mais ma maitresse m'avait prise en amitié. Elle désirait ardemment me faire découvrir la beauté du Chabbath, et elle décida de passer outre. Elle contacta mes parents pour m'inviter un Chabbath, bien consciente du fait qu'elle était en train de violer le règlement de l'école et qu'elle risquait de perdre son travail. Mes parents acceptèrent l'invitation.
J'arrivai chez ma maitresse vendredi après-midi. Quelques minutes avant Chabbath, je la vis se préparer à allumer des bougies. Je n'avais alors jamais vu de bougies de Chabbath auparavant et j'étais ébahie. Je demandai alors : "Est-ce que je pourrais allumer des bougies, moi aussi ?" Ma maitresse me répondit : "Ce n'est pas la peine, Myriam. J'allume pour toi aussi." Mais je voulais vraiment allumer moi-même des bougies de Chabbath ! Alors j'insistai : "Je ne sais pas si j'aurai encore une fois cette occasion ! Est-ce que cela vous dérangerait que j'allume moi aussi ?"Gentiment, ma maitresse me prépara deux petites bougies, et c'est ainsi que pour la première fois de ma vie, j'allumai les bougies de Chabbath.
Tout ce Chabbath a été pour moi une expérience merveilleuse. J'avais l'impression de me trouver dans un monde supérieur, et quand je rentrai chez moi, j'étais encore sous l'effet de cet état d'esprit élevé. Dans un souci d'honnêteté, ma maitresse informa l'administration du Talmud Torah dès le lendemain qu'elle m'avait invitée, et elle fut agréablement surprise de s'entendre dire qu'elle ne serait pas renvoyée. On lui demanda simplement de ne pas recommencer.
Des années plus tard…
Pendant une longue période, ce système d'école publique en semaine et de Talmud Torah le dimanche se poursuivit, mais mes parents décidèrent un jour de me scolariser dans une école privée catholique. Certes, personne ne m'obligeait à participer aux prières, mais à la longue, je me suis faite des amies catholiques, et je suis devenue partie intégrante de mon entourage. En classe de Première déjà, je n'étais plus Myriam mais Marie, et je participais à leurs prières… Malheureusement, le catholicisme faisait à présent partie de moi-même.
Le temps avançait, et la situation n'allait pas en s'améliorant. Je poursuivis mes études supérieures dans une université privée catholique, et la vie prit un nouveau tournant. Je m'étais fiancée avec Vinny. Nous avons choisi de nous marier, et nous avons prévu de célébrer le mariage à l'église, un jour de Chabbath. Un prêtre dirigerait la cérémonie.
Le jour du mariage arriva. Revêtue de ma robe de mariée, j'entrai dans la limousine qui devait m'emmener à l'église. Mes deux amies, qui devaient être mes demoiselles d'honneur, étaient assises à côté de moi. Une d'elles me dit : "Ferme les yeux, Marie. Nous avons un cadeau pour toi." Elles accrochèrent à mon cou un collier qui portait une croix en pendentif. J'ouvris les yeux, j'admirai le collier et je les remerciai gracieusement.
Notre voiture s'arrêta quelques minutes plus tard à un feu rouge. Par la fenêtre, je remarquai quatre jeunes filles, visiblement juives pratiquantes, debout, qui avaient l'air perdues et désorientées. Alors je baissai ma vitre et je les interpellai : "Avez-vous besoin d'aide ?" Elles répondirent : "Oui, nous cherchons la synagogue locale, et nous ne trouvons pas notre chemin." Alors je proposai : "Je sais, moi, où se trouve la synagogue. Rentrez dans la voiture, nous vous déposerons en quelques instants."
Mais je me rendis compte tout de suite, avant même d'entendre leur réponse, que ce ne serait pas possible ! Un juif pratiquant ne rentre pas dans une voiture le jour de Chabbath ! Je m'empressai de me reprendre : "Si vous ne pouvez pas rentrer dans la voiture, ce n'est pas grave. Nous avancerons lentement dans cette direction et vous pourrez nous suivre". Une des jeunes filles jeta à ce moment un coup d'œil sur mon tout nouveau collier. La croix que je portais n'allait pas de pair avec mes connaissances de judaïsme. "Mais d'où connaissez-vous la synagogue ?", me demanda-t-elle. "Je suis juive !" répondis-je. La jeune fille regarda la croix qui pendait de mon collier d'un air dubitatif. Je répétai : "Je vous assure, je suis bien juive ! Mais aujourd'hui, je me marie avec Vinny."
"- Ah bon ? s'étonna la jeune fille. Comment vous appelez-vous ?
- Marie. Mais en réalité, je m'appelle Myriam.
- Vraiment ! s'exclama-t-elle. Moi aussi, je m'appelle Myriam !"
Nous continuions à avancer, moi dans la limousine et les jeunes filles à pied, et nous sommes finalement arrivés à la synagogue. Elles étaient bien entendu bouleversées de ce qu'elles venaient d'entendre, et elles réfléchissaient fébrilement pour trouver rapidement une solution… D'un seul coup, Myriam me lança : "Myriam, j'ai une idée ! Rentrez avec nous dans la synagogue quelques minutes. Vous pourrez rencontrer le rabbin et recevoir sa bénédiction !" "La bénédiction du rabbin ?", répétai-je pensive. "Absolument ! L'office du matin va bientôt se terminer, et le rabbin se trouve sur place. Venez ! Vous pourrez lui demander de vous bénir et de bénir votre union !"
Je réfléchis quelques minutes, et j'acceptai. Je prévins mes amies : "J'en ai pour deux minutes. Attendez-moi, j'arrive." Je suivis Myriam et ses amies à l'intérieur de la synagogue, en direction de la 'ézrath nachim, la section réservée aux dames. Myriam, s'arrêtant de marcher, me dit gentiment : "La croix que vous portez pourrait choquer les fidèles. Voyez-vous un inconvénient à l'enlever ?" Je ne m'étais pas rendue compte que je portais encore le collier ; m'excusant, je le retirai rapidement.
Les yeux de toutes les dames furent rivés sur moi lorsque je fis mon entrée dans la salle. Pensez donc : une jeune femme en robe de mariée à la synagogue, lors d'un Chabbath tout à fait ordinaire, à Chicago ! Peut-être pensaient-elles que mes connaissances limitées m'avaient menée à traduire l'expression "Chabbath Kallah" littéralement… La femme du rabbin, la Rabbanith, était présente dans l'assemblée. Elle se leva dès que je fis mon entrée et me souhaita très chaleureusement la bienvenue. Elle ajouta : "Que nous vaut le plaisir de votre venue aujourd'hui ?" Elle faisait bien entendu référence à la robe de mariée que je portais…
"Je me marie aujourd'hui avec Vinny ! répondis-je timidement.
- Est-il juif ? demanda-t-elle.
- Non.
- Et où doit avoir lieu la cérémonie ?
- A l'église."
Très perspicace, la Rabbanith comprit rapidement ce qu'il en était, et elle aussi me proposa : "La prière est presque terminée. Si vous voulez bien patienter quelques minutes, vous pourrez rencontrer le rabbin et lui demander sa bénédiction." Encore une fois, j'acceptai. Par la suite, j'ai bien compris que Myriam aussi bien que la Rabbanith savait très bien que le Rav n'allait certainement pas m'accorder sa bénédiction alors que j'étais sur le point de contracter un mariage mixte, mais je ne le savais pas encore, à ce stade. Mes amies, dans la limousine, s'impatientaient, et elles ne cessaient de klaxonner et de crier : "Marie, que fais-tu ?" Je ne faisais pas attention à leurs appels : j'avais décidé de rencontrer le rabbin.
De fait, il arriva effectivement quelques minutes plus tard. Lorsqu'il entendit mon histoire, il me dit : "Ecoutez, je ne vais pas vous dire si à mon avis vous devez vous marier avec votre fiancé ou pas. En revanche, dans votre intérêt, je vous conseille très vivement de passer un ou deux Chabbath chez nous avant de vous marier avec lui. Si après cela, vous voudrez toujours l'épouser, libre à vous. Mais si vous vous mariez aujourd'hui comme prévu, vous aurez perdu votre occasion de vivre un Chabbath juif." Je pris à cœur les mots du rabbin, et je décidai de suivre son conseil pour ne pas risquer de perdre définitivement mon héritage juif.
Mes amies, dans la voiture, étaient encore en train de klaxonner. Me voyant arriver, une d'elles se mit à crier : "Mais qu'est-ce que tu faisais ??!" Je leur expliquai rapidement que j'avais parlé avec le rabbin et que j'avais décidé de remettre le mariage à une date ultérieure. Elles n'avaient pas l'air étonné le moins du monde : "On en était sûr! Dès que tu as commencé à parler avec ces filles, on a compris que tout était terminé ! Vous, les juifs, vous êtes incapables de vous décider !" Je me tournai vers cette "amie" qui était en train de déverser son venin, je la regardai droit dans les yeux, et je lui dis : "Cela fait déjà longtemps que je te soupçonne de vouloir épouser Vinny à ma place, Suzie. La voie est libre ! Tu peux y aller ! Vous avez déjà la salle de réservée, et tout ce qu'il faut pour vous marier tout de suite !" Furieuses, elles firent démarrer la voiture et quittèrent les lieux en trombe.
J'étais maintenant seule, dans la synagogue, revêtue de ma robe de mariée. Et tout allait désormais changer. Le Rav et la Rabbanith m'emmenèrent chez eux, et ils se mirent en devoir de m'enseigner la richesse inhérente au judaïsme. Devant mon intérêt grandissant, ils collectèrent des fonds pour me payer les frais de scolarité d'une année d'étude au séminaire "Neveh Yérouchalayim" à Jérusalem. Je ne restai pas un an au séminaire, mais deux ! Juste après ces deux années, je me suis fiancée avec un jeune homme 'hassid formidable, qui est devenu ensuite mon mari. C'est ainsi que j'ai clos définitivement le chapitre "Marie & Vinny"… Et voilà ! Nous habitons à Meah Che'arim avec nos enfants, et la vie est merveilleuse !"
Myriam conclut son récit en regardant ses deux invitées : "Je pense que vous avez compris maintenant, pourquoi je mets une robe de mariée pour allumer les bougies de Chabbath… Tout avait commencé lorsque mon enseignante m'avait invitée à passer Chabbath chez elle et qu'elle m'avait permis d'allumer des bougies de Chabbath. Chabbath a sauvé ma néchamah ! Comme par la suite, j'ai découvert la présence de Hachem revêtue d'une robe de mariée, j'ai fait le néder (vœu) de toujours allumer les bougies du Chabbath revêtue de cette robe."
Dans cette histoire, tout a commencé au feu rouge. Un feu rouge ne dure que quelques secondes… Pourtant, Myriam a su mettre ces quelques secondes à profit pour partir du point le plus bas et grimper jusqu'en haut de l'échelle. Nous passons tous dans la vie par des feux rouges. Mais que faisons-nous de ces feux rouges ?! Myriam a choisi de s'arrêter, et de proposer son aide. Elle aurait pu voir les jeunes filles perdues et penser : "Désolée ! Je me marie, je n'ai pas le temps de vous aider !" Le feu serait alors passé au vert, et sa vie aurait pris un tournant complètement différent ! Elle serait probablement restée Marie pour toujours… Or elle n'a pas fait ce choix : elle a choisi de prendre en considération les besoins d'autrui… Ce qu'elle ne savait pas à ce moment, c'était que la personne qu'elle aidait le plus n'était autre qu'elle-même !
Un petit message de
Mme 'Hanna Krasny
Tous les jours, matins et soirs, lorsqu'on récite le Chema', on dit : "Ces devoirs [les enseignements de la Torah] que Je t'impose aujourd'hui seront gravés sur ton cœur" (premier paragraphe, Véahavta]. Il est étrange que la Torah ait choisi cette formulation. N'aurait-il pas été plus avisé de nous demander de placer la Torah dans nos cœurs ? En réalité, l'enracinement de la Torah en nous-même est une procédure d'osmose. Même si on n'est pas assez motivé parfois pour étudier, qu'on ne se sent pas de désir de vivre une vie de Torah, il faut persévérer, et la Torah finira par prendre racine en nous. Rappelons-nous de Rabbi 'Akiva : il avait bel et bien constaté que des gouttelettes avaient fini par créer un trou dans de la pierre ! Nous pouvons en arriver à ce résultat. Si on persiste, même si on se contente de placer la Torah sur nos cœurs, nous pouvons avoir la certitude qu'elle pénétrera en nous tôt ou tard. Nous pourrons alors jouir d'une vie spirituelle profonde et d'un contact réel avec Hachem.
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